Jean-Pierre Ransonnet

Histoires d’hommes, d’outils, de sapins (extrait)

par Roger Pierre Turine
Natif de Lierneux, ardennais, une ardeur d’avance mais

une vraie, Jean‐Pierre Ransonnet ne mange ni le pain bénit qu’il laisse à d’autres, ni le rassis qui aurait vieilli de n’être point goûté avec ferveur. Image qui vaut ce qu’elle vaut : chez lui, c’est croissant frais et tartine du jour à chaque aurore. Pain, beurre et chocolat pour voir la vie en souriant.

Et ce qui est vrai pour la sustentation de l’espèce et de l’éveil au matin clair, l’est aussi pour celle du cœur et de l’esprit. En peintre digne de ce nom, il remet sur le métier chaque jour que Dieu fait. Avec entrain et détermination, sans aveuglement. Son charme, son allant, sa force.

Rebelle, opiniâtre, cet homme du premier jet qui compte est un artiste qui va à l’abordage d’une toile un peu comme vous et moi craignons comme la peste l’engourdissement fatal. Il conquiert, il se bat. La peinture n’est pas un sport de divas. Rire franc et accent du cru porté en bandoulière, Ransonnet est un peintre avant tout. Un homme qui a choisi de s’armer de pinceaux, brosses et couleurs pour dire au monde d’où il vient et où il espère aller. Aller de l’avant en forcené. Coureur cycliste, il aurait choisi la course en tête comme qui vous savez, footballeur, le dribble qui tue et pas au Hazard, tennisman, un revers façon Henin. Avec lui, ni demi‐mesures, ni tergiversations, encore moins redites, immobilisme : l’art d’être un peintre se gagne les brosses à la main. Que ça gicle et que ça flambe !

Nous l’avons connu artiste conceptuel, une manière pour lui de raviver des mémoires, des lieux, des passés chargés d’histoires vécues. Une étape pleine d’attraits mais, dites‐le‐nous si nous nous trompons, pas vraiment son truc à lui. Une étape obligée sans doute, pour voir et savoir. Ransonnet, pour nous, pour moi, et plus que tout, c’est l’homme

non pas d’un atelier clé sur porte avec ses tables, ses tiroirs, ses compas, ses ciseaux. C’est, au contraire, l’homme d’un atelier qui sent la matière, pots et boîtes en fer emplis de jus, de pinceaux à la diable, tous genres et toutes catégories, de dessins punaisés sur des murs salis par la sueur et les odeurs de solvants. Un atelier envahi, fourre‐tout et foutoir, toiles de guingois et table/ palette gorgée d’huiles et pâtés colorés. Un atelier qui bruisse de ferveurs décuplées. En fils légitime des pays laborieux, Ransonnet, peintre, a voulu signer ce pays en lui rendant des hommages discrets sans doute, mais des hommages appuyés, salutaires. Tableaux profilés de sapins stylisés ou non. Tableaux relevés de têtes anonymes comme pour mieux percer les secrets d’individus qui comptent à ses yeux. Tableaux parsemés d’outils – une serpe, un marteau, une faucille ‐ qui sont à l’Ardenne ce qu’elle est au monde : une terre qui a souffert, enduré, travaillé. Matières et couleurs : Ransonnet a peint et peint son Ardenne non pas en entomologiste distingué mais en arpenteur de terreaux vivaces.

Et sa peinture est vivace. Sans cesse la même et sans cesse différente d’un cru à l’autre. Car l’homme vit, pense et peint. Et chaque jour, pour lui, est différent du précédent. Sa palette suit le même chemin. Le chemin de la remise perpétuelle sur le métier avec les accents nouveaux et différents d’un jour qui n’est jamais, au grand jamais, comme un autre. N’est‐ce pas là tout le secret, toute l’ardeur, d’un peintre qui tisse sa toile comme l’araignée la sienne, en avançant pas à pas, fût‐ce, parfois, à pas de géant, à bottes de sept lieues pour que la surprise soit de la partie et la gagne ?

Ses forêts, ses jardins, ses outils, ses sapins, ses person‐ nages et... une identité foncière, la sagesse d’un artiste ébloui par son chemin ardent.