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- Schälling | Enderle
- Stéphanie Defays
- Valerie Vogt
Michael Kravagna
Démarche artistique
Mon idée initiale est de développer un langage purement pictural. Un langage qui ne soit ni verbal, ni illustratif. Un langage qui frappe et touche de manière directe. C’est en même temps une approche du monde par les sens, la mémoire, la comparaison et un questionnement de la perception humaine.
La couleur est au centre de cette recherche picturale.
Je fais les couleurs moi-même à base de pigments et de divers liants, comme l’huile, la tempera, les résines ou l’acrylique.
Ce travail de préparation des couleurs et de leurs composants constitue le fondement de mes moyens d’expression picturale car une couleur à base des mêmes pigments peut avoir, selon sa composition et son liant, une apparence totalement différente dans sa substance, sa consistance et son chromatisme.
La couleur matérialisée dans ses multiples apparences est mon seul medium. En combinaison avec différents procédés d’application qui sont limités par la surface de la toile et prédéterminés par la couche de fond, elle représente en quelque sorte l’alphabet de mon langage pictural.
La couleur est appliquée en couches successives. Une couleur par couche.
Quand je tire avec un couteau à enduire une grande masse de couleur de manière régulière et équilibrée, horizontalement sur toute la surface de la toile, la couleur crée là où elle adhère, des formes aléatoires. Ces formes ne sont rien d’autre que des masses, des volumes en couleurs.
Là où la couleur n’adhère pas, où les vides laissent les portes ouvertes vers les couches précédentes, des formes complémentaires se créent.
Avec chaque épaisseur, le tableau gagne en volume, va vers l’espace de la deuxième à la troisième dimension.
C’est au travers de ces couches que la peinture émerge progressivement.
Quand l’œuvre est finie, on voit aussi l’histoire de sa genèse car toutes les couches sont présentes simultanément par leurs ouvertures, leurs transparences et la possibilité d’en ressentir les strates inférieures.
La lumière réfléchie révèle les chromatismes. Lentement, on perçoit la matérialité, la substance, la présence physique de la couleur et la mise en œuvre de chaque épaisseur.
On ressent la structure, le processus antérieur qui a mené à cet instant de la perception visuelle.
Mon évolution artistique n’est pas linéaire. Les tableaux que j’ai faits dans le passé sont présents en moi. Ils constituent le fondement de mon travail actuel et futur.
Je reprends des toiles déjà finies quand j’y redécouvre de nouvelles possibilités picturales pour les pousser plus loin. Je perds des tableaux pour en gagner des autres. La fin peut devenir un nouveau point de départ. Et c’est ainsi que l’aboutissement d’une œuvre peut durer plusieurs années.
Dans le déroulement des procédés d’application de la couleur, la gravité, la capillarité, la cohésion, l’adhésion, la miscibilité, l’hétérogénéité, l’homogénéité témoignent des causes et des effets.
S’ajoutent également les propriétés de la couleur à l’huile qui, en durcissant absorbe de l’oxygène dans l’air et grossit. Cette oxygénation peut, suivant les circonstances, dilater la peau de la couleur et créer des ridules. Ainsi que celles d’une couleur à base d’eau, qui elle va réduire en séchant à cause de l’évaporation, ce qui peut créer des fissures. Il y a mille façons pour la couleur de manifester son existence, raconter son histoire.
Ça nous parle, ça nous frappe directement et ça nous touche, car le processus est finalement aussi visible que son résultat et cela se retrouve tant dans la nature que dans la vie.
Si on regarde un paysage où le vent a déposé la neige dans les creux et les reliefs qui ont transpercé cette surface blanche en faisant émerger leurs propres teintes, alors on voit cette image et en même temps, on est face au processus qui l'a engendrée.
On perçoit cause et effet quand on voit le rythme des vagues inscrit dans le sable.
La terre déchirée par la sécheresse fait ressentir le drame de la vie.
La plante qui soulève l’asphalte dans une cour interpelle par sa force.
Face à la nature ou face au tableau, le processus de perception est similaire.
Les chromatismes, reflétés à la surface ou émergeant du fond au travers d’un glacis, réveillent en nous des sensations de rayonnements lumineux.
La lumière traverse l’œil et ce que l’on voit s’est constitué dans le cerveau.
Cette vision n'est ni instantanée, ni fluide. Elle se fait de manière ponctuelle et rapide.
Dès l’enfance, on commence à découvrir et à connaitre le monde avec tous nos sens. On intériorise les sensations évoquées par des matières rencontrées, touchées et explorées. Par après, on peut revivre ces sensations simplement en les regardant ou même en s’en souvenant.
On peut s’approprier la nature et l’essence d’un objet par la vision, comme si on le touchait au travers de la peau, de corps à corps. Il s’agit de la vision haptique.
Dans ma peinture, il n’y a pas de formes qui permettent que le regard se fixe. Il balaye inlassablement la surface de la toile et aspire le sentiment évoqué par la couleur, sa substance, sa température, sa rugosité, sa texture, sa présence par rapport à nous-mêmes.
On voit des fissures, des rides, des traces, des gouttes et des coulures, des espaces et des volumes, des effets de la capillarité, de la cohésion ou adhésion et on ressent l’émergence du tableau, par rapport à notre corps, notre histoire, notre existence. On s’approprie peu à peu des procédés qui ont mené à la genèse de l’œuvre et on commence à prendre conscience de la structure et des liens; les liens qui sous-tendent la surface visible, les lois et les règles à la base de tout fonctionnement.